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02:33 | Quand vous étiez dans le train, est-ce que vous aviez une légère idée où vous alliez, qu’est-ce qui vous attendait – quelles étaient vos émotions ? |
02 : 47 | Nous n’avions aucune idée de la destination du train… mais nous avions quitté Auschwitz et on pensait que rien ne pouvait être mieux pour nous que de quitter Auschwitz. Ça, Auschwitz, c’était quand même le pire, le pire endroit où se trouver et partir d’Auschwitz, quelle que soit notre destination… on était contentes de partir d’Auschwitz, voilà. |
03 : 18 | D’accord. Et donc vous êtres arrivées à la gare à Zschopau et après… c’était la nuit, c’était le jour – comment êtes-vous arrivées ? |
03 : 31 | Vous avez peut-être vu dans mon livre, ça, non ?… Non, mais ça fait rien, je vais vous répondre. |
03 : 34 | C’était la nuit, en fait, on vous a emmenées dormir dans la Mairie, c’est ça ? |
03 : 40 | Mais l’important c’était que nous sommes sorties du train et nous avons traversé le bourg d’Auschwitz, pardon, de Zschopau. Et en traversant Zschopau, nous avons eu la surprise de voir un bourg normal, un lieu de vie avec une chaussée, des trottoirs, des boutiques, des XXX. Nous étions tellement sur notre planète pendant tant de jours quand nous étions à Auschwitz qu’on avait même oublié ça. Et ça nous a fait un drôle d’effet de traverser la ville et puis… naturellement, on marchait toujours cinq par cinq avec des Aufseherinnen qui nous faisaient avancer et qui, effectivement, nous emmenaient jusqu’à la Mairie. Et à la Mairie on s’est rendu compte qu’on ne nous attendait pas. Ils étaient surpris un peu de nous voir. C’étaient probablement des femmes bénévoles qu’étaient là et qui ont eu la gentillesse de nous apporter une soupe ou quelque chose à manger et qui semblaient avoir une certaine empathie pour nous… sans trop le manifester, mais enfin, ça avait compassion quand même – faut dire qu’on était pas très… très belles à voir. Mais on a pu se coucher sur le sol et dormir dans la grande salle de la Mairie. |
05 : 29 | Et les gens de Zschopau, ils vous ont vues ? Est-ce qu’on percevait des gens qui regardaient ou c’était plutôt désert ? |
05 : 39 | Oh, c’était désert, c’est-à-dire, comme vous disiez, c’était la nuit, donc on voyait pas les gens. Et à la Mairie c’étaient uniquement ces femmes bénévoles qui sont arrivées pour nous recevoir. Mais en fait je pense qu’elles ne s’y attendaient pas, mais c’était pas prévu peut-être. Mais enfin, on s’est couchées, on a dormi et voilà. |
06 : 07 | C’était déjà quelque chose après le train. […] Et donc après, vous avez travaillé dans les usines d’Auto-Union, c’est ça ? |
06 : 18 | Alors, on ne savait pas ce qu’on attendrait de nous, quel travail et quelle était notre… destinée. Alors on nous a emmené effectivement dans une usine. C’était assez loin de la Mairie, et, enfin petit à petit les choses se sont arrangées d’une telle façon que… on pouvait aller à pied jusqu’à cette usine, régulièrement, le matin et…. Tout de suite dans cette usine, il y a eu deux étages, un étage avec les machines sur lesquelles on travaillait, et un étage avec des… des lits superposés qui nous permettaient de… de dormir la nuit. Donc, on ne sortait jamais après de l’usine – Au début on est sorties parce que… le deuxième étage avec les lits superposés n’était pas prêt, alors on nous faisait marcher d’un certain endroit jusqu’à… jusqu’à l’usine et après ça n’a plus été nécessaire. Donc on y restait dans l’usine, on n’en est jamais sorties, c’est-à-dire qu’on pouvait pas en sortir puisque on était ou à la salle des machines ou à l’étage au dessus, à la salle des lits superposés. Il y avait un petit escalier entre les deux et… en dehors de ça… c’est tout. On travaillait, ensuite il y avait un Zählappell assez court et ensuite on montait dans la salle où on trouvait des châlits pour dormir… pour euh, recevoir de la nourriture quand même, c’est à ce moment-là qu’on en distribuait de la nourriture et après on pouvait dormir. |
08 : 21 | D’accord, mais donc c’était quelque chose d’assez nouveau que le Zählappell était plutôt court… |
08 : 28 | Ah ben oui, c’était quand même très différent de ce qui se passait à Birkenau… […] Très très différent, très différent et d’une part, on était à l’intérieur d’un immeuble, donc on était même chauffées et, effectivement, on n’avait pas ces deux ou trois heures de Zählappell comme on avait à Birkenau. C’était très différent. |
09 : 02 | […] Je pense que pour quelqu’un qui ne l’a pas vécu c’est quand même assez difficile de s’imaginer comment était une journée, entre guillemets, « normale ». Comment ça se passait une journée ? [Une journée où ?] Une journée à l’usine. |
09 : 20 | Ah, une journée à l’usine ? On nous réveillait naturellement… très tôt, il y avait un court Zählappell déjà le matin, et puis… je crois qu’on avait une gamelle avec du thé ou quelque chose comme ça… quelque chose de liquide il me semble… on avait un liquide chaud. Mais ma mémoire est prise en défaut là, je ne suis pas très sûre… il me semble… Ensuite, on descendait par le petit escalier, on allait devant les machines, alors on… nous avions… chacune était affectée à une machine avec un… un Allemand qui était le Vorarbeiter qui nous apprenait comment il fallait s’en servir. Mais c’étaient des hommes âgés qui étaient trop âgés pour avoir été mobilisés, donc ils étaient là pour faire ce travail-là et en même temps c’étaient des hommes très cruels, très antipathiques, enfin, ils méprisaient énormément, ils nous méprisaient énormément. On était cette… cette… comment dire… ces ouvrières qui n’avaient aucun statut, aucune… aucune protection qui étaient…ce qui arrivait de… du camp d’Auschwitz, ça ils le savaient, et pour eux on n’était rien du tout quoi. Alors ils n’hésitaient pas à être très… désagréables… Et on restait à cette machine depuis le matin, donc je sais pas exactement l’heure, jusqu’au soir et… alors à quel moment est-ce qu’on nous a distribué la nourriture ? Ça devait être le soir. On travaillait sans arrêt et on aurait voulu essayer… C’était une usine qui faisait des pièces détachées pour moteurs d’avion. Alors ces pièces détachées on aurait bien voulu les saboter, mais c’était pas facile, mais on y est arrivé quand même de temps en temps… on les jetait XXX ce genre de sabotage, mais c’était assez dangereux et c’était pas facile. Alors on travaillait toute la journée, on s’arrêtait pas, et le soir, alors c’était le court Zählappell pendant lequel on distribuait notre pain avec un petit peu de… alors c’était du beurre, un petit peu de margarine dessus, ou un petit peu de… d’une espèce de confiture un petit peu de quelque chose qui ressemblait à de la viande… enfin un petit quelque chose en plus sur le pain… et après on montait l’escalier et on allait se coucher. Qu’est-ce que je pourrais vous dire de plus ? Pour cette journée… |
12 : 57 | C’était… Pour parler par exemple de la cruauté de ces Vorarbeiter… euh, quand on avait terminé une journée très très dure, on était debout devant la machine et le soir, euh ils nous demandaient de prendre de seaux pleins d’eau, très lourds, et de laver les machines. Et ça c’était vraiment très dur pour nous, qui étions déjà si fatiguées et si peu… avec si peu de force et d’énergie, étant donné la… la maigreur dans laquelle nous étions, et la faim aussi qui nous tenaillait, mais il fallait le faire. Ouais, c’est un exemple. |
13 : 48 | Et donc, ces Vorarbeiter, ils étaient toujours présents ? |
13 : 52 | Ah oui, ils étaient toujours présents… […] Ils nous surveillaient, ils nous apprenaient à nous servir des machines, mais surtout ils nous surveillaient, bien sûr, et ils étaient vraiment… très désagréables. |
14 : 10 | Est-ce qu’il y avait un jour dans la semaine où il fallait pas travailler – est-ce qu’il y avait la chance de… de se reposer un peu ? |
14 : 22 | C’est possible. C’est possible que les dimanches le machines ne marchaient pas… et qu’on pouvait en effet se reposer un peu. |
14 : 34 | [interruption brève de l’interview] |
15 : 15 | Donc, euh… où on en était ? |
15 : 19 | On en était… un possible jour libre [Ah oui] Mais en effet tout s’enchaînait, vous étiez si fatiguées… qu’en effet… |
15 : 30 | Non, un jour libre n’a pas laissé beaucoup de souvenirs. Non, ce qui m’a laissé un souvenir, ça vous avez dû le lire dans le livre probablement, c’est les bombardements des alliés sur notre usine. Alors l’usine était effectivement visée et les… les femmes allemandes qui nous gardaient – elles aussi, elles étaient extrêmement désagréables et elles nous battaient souvent, elles étaient vraiment très dures – alors elles, elles ont eu peur, elles s’en sont enfuies, elles nous ont enfermées, elles sont parties dans la forêt. Et nous, évidemment, on n’avait pas envie de se laisser enfermer et risquer d’être blessées, alors on a réussi, en s’y mettant toutes, à enfoncer la porte pour nous réserver un petit endroit où on pouvait sortir. Alors on est sorties et on s’était guidées dans la forêt… et puis après il y a eu une fin d’alerte qui a sonné et nous sommes rentrées toutes à notre… dans notre usine. Alors quand les… les Aufseherinnen nous ont vu rentrer, elles étaient très inquiètes horriblement inquiètes. Elles nous ont comptées, recomptées, recomptées, elles avaient peur que certaines d’entre nous se soient évadées, ce qui n’a pas été le cas, donc elles ont vu qu’on revenait normalement et qu’il n’y avait pas lieu de crainte d’une évasion et à partir de ce moment-là, on nous a laissées, à chaque alerte, aller dans la forêt pour éviter d’être dans l’usine qui était évidemment la cible des bombardements. Ça, ça a été quelque chose de particulier. |
17 : 16 | Oui, c’est quand même particulier que personne n’ait essayé de s’échapper… incroyable, mais mieux pour celles qui restaient… |
17 : 46 | Ben oui, parce que les représailles n’auraient pas manqué et puis… que faire dans cet… dans cet endroit ? Où aller ? Il n’y avait aucune possibilité d’être aidé. On ne pouvait pas, ça n’avait aucun sens de s’évader parce qu’on ne savait pas où aller, on ne savait pas qui pourrait nous aider. |
18 : 16 | Est-ce que vous aviez une idée où vous étiez à peu près en Allemagne ? […] |
18 : 24 | Non, on pensait que c’était vers le sud, mais… on savait pas très bien, enfin avec certaines Aufseherinnen qui étaient plus… qui étaient moins méchantes que d’autres, on… il y avait quelques possibilités de parler, alors on a… certaines d’entre nous qui parlaient bien allemand, qui ont pu parler avec ces Aufseherinnen qui nous ont expliqué un peu où on se trouvait, c’est-à-dire, à la limite, euh, de la Tchécoslovaquie, en fait c’est au sud. |
19 : 03 | Ça m’amène à une question en fait de genre linguistique […] En fait si j’ai bien compris, ce n’étaient pas que des Françaises ou Belges, qui étaient francophones, mais c’était en fait un mélange de tout… [tout à fait] comment vous vous [êtes] débrouillées pour vous entendre entre vous ? |
19 : 25 | Eh bien, c’est par affinité de langues, donc ce n’était pas du tout par affinité de patrie, enfin…. Toutes celles qui parlaient français se regroupaient aussi bien quand elles venaient de n’importe quel pays. A partir du moment où on pouvait parler français, on se regroupait entre… entre francophones. Finalement c’est ça que nous attirait et on est devenues camarades de cette manière entre francophones. |
20 : 00 | Donc les 14 dont vous parlez ? |
20 : 05 | Oui, oui, c’étaient vraiment des francophones, comme vous avez pu voir c’était une Italienne… Allemande, Hongroise… tous les pays qui avaient des personnes qui étaient francophones, quoi. |
20 : 30 | Et à quel degré fallait-il maîtriser l’allemand ou en parties l’allemand ? |
20 : 37 | L’allemand, on peut dire qu’on l’apprenait sur le tas, si j’ose dire, c’est-à-dire qu’il fallait comprendre les ordres. Alors les filles qui savaient l’allemand traduisaient pour les autres pour que tout le monde soit au courant des ordres, mais ça a été assez rapide, les ordres, c’étaient toujours à peu près les mêmes, c’était pas un vocabulaire très… très important, alors on a fini par assimiler ce vocabulaire qui était à peu près toujours le même et on savait les mots les plus importants qu’il fallait savoir pour comprendre les ordres qui étaient données en allemand. Ce qu’on entendait surtout c’était schnell ! Schnell ! Schnell ! C’est ça qu’on entendait avant tout [rit]. Non, on a fini par assimiler suffisamment d’allemand pour comprendre donner des ordres, mais ça ne veut pas dire qu’on savait parler l’allemand, c’était… on comprenait… […] |
22 : 00 | Comment s’est formé ce groupe de camarades qui s’est resté assez fidèle même après la guerre ? Ça a commencé comment ? |
| Vous savez, il y a eu plusieurs, plusieurs choix, des affinités. Déjà à Birkenau, je veux dire que je m’étais bien… que j’étais devenue très amie avec Anne-Marie Weil, et puis… ensuite je suis devenue très amie avec Lisette Cassis, donc ça c’était à Birkenau. Mais c’était pendant les pauses, pendant les moments de… même quelques fois en travaillant aussi, on… devenait amies parce qu’on travaillait à la même table, on était dans le même bloc… alors c’était vraiment par affinité, parce qu’on avait à peu près le même âge ou… les |
25 : 14 | Parce qu’on effet il n’y avait aucune possibilité d’avoir des nouvelles de dehors, de savoir ce qui se passait ? |
25 : 20 | Nous n’avions aucune idée de ce qui se passait… aucune idée de ce qui se passait. Sauf, je vous dis, il y avait une Aufseherin qui était … qui bavardait un peu avec une de nos amies qui parlait allemand, qui comprenait, et donc par elle, on savait quand même que les… la situation n’était pas tellement bonne pour les Allemands et que les alliés arrivaient… |
25 : 53 | On a su que quand même que dans le sud d’où nous nous trouvions… on était pas tellement loin de Chemnitz et que Chemnitz était déjà l’endroit où se trouvaient déjà les alliés. Par conséquent c’était déjà une indication. Mais… pas grand-chose, mais enfin on a appris ça quand même avec beaucoup d’espoir. |
26 : 21 | Et donc, quand on vous a mis dans le train qui sortait de Zschopau, vous saviez à peu près où on vous allait emmener ou vous vous étiez formé quelques idées […] ? |
26 : 41 | Quand on nous a évacuées de l’usine on nous a emmenées à la gare on a… on est montées dans un train, c’était extrêmement inquiétant, ça voulait dire que l’usine allait peut-être être bientôt reprise par les alliés et que les Allemands étaient en train de… battre en retraite et que si… ils nous emmenait, nous, les travailleuses forcées, c’est qu’ils voulaient pas que les alliés retrouvent notre trace. Alors, c’était extrêmement inquiétant. Et c’était d’autant plus inquiétant que… on était entassées dans les wagons, alors que d’habitude les avions [wagons] sont faits pour 40 hommes, nous, on était en général 60, mais là, on était 120. Alors 120, ça voulait dire qu’il y avait même pas la place de s’asseoir on pouvait s’accroupir… XXX Donc ça, était suffisant pour que l’on se dise que si on nous emmenait dans des conditions pareilles, c’était évidemment pour nous exterminer alors est-ce que c’était pour aller retourner dans un camp où il y avait des chambres à gaz, est-ce que c’était pour nous fusiller est-ce que c’était… enfin n ne savait pas de quelle mesure… de quelle manière on allait nous exterminer, mais on était sûres qu’on allait nous exterminer. |
28 : 29 | Alors, entre francophones on s’est vraiment… on a réfléchi, on s’est dit il faut à tout prix arriver à s’évader, c’est la seule possibilité, sinon notre sort est… est certain…. C’est comme ça. |
28 : 51 | D’accord… et donc après vous avez découvert qu’en fait vous pouviez déboucher la fenêtre ? |
28 : 58 | Ben, ça a été une chance inouïe c’est que… deux chances d’ailleurs : une, la première c’est que on nous a fait monter dans le dernier wagon du train. Il y avait plusieurs wagons, entre les wagons il y avait des plateformes avec chaque fois un soldat dans… sur cette plateforme, quelquefois même avec un chien. Alors, nous étions donc dans le dernier wagon – déjà une chance – et puis, les petites fenêtres qui sont en l’air dans les wagons à bestiaux et par lesquelles on pouvait avoir un petit peu d’air en s’en approchant… eh bien une des deux fenêtres, au lieu de… d’être fermée par des barreaux, elle était fermée par des planches clouées – sans doute que les barreaux avaient été… avaient été gâchées, je sais pas… en tous cas c’étaient des planches, deux planches en X clouées. Et avec ces deux chances, notre idée de… d’évasion devenait possible. |
30 : 24 | Alors, évidemment, il fallait s’approcher déjà de cette fenêtre, il fallait arriver à déclouer les… morceaux de bois et puis ensuite il fallait grimper parce qu’elles sont hautes, il fallait se faire la courte échelle, chacune à son tour et pour moi qui étais dans le fond du wagon, la grosse difficulté ça a été de traverser la large du wagon en bousculant les malheureuses qui étaient accroupies puisqu’il y avait pas la place de s’asseoir et qui se demandaient pourquoi j’allais en plus les déranger, les embêter. Là vous avez dû voir les décrits [rire] et quand je suis arrivée enfin près de cette fenêtre, et bien j’étais la septième personne à pouvoir sauter [rire] sauter du train. |
31 : 33 | Il y en a combien qui sont sautées [sic] – vraiment les 14 ont réussi ? |
31 : 34 | Je peux pas le savoir, parce que j’en ai retrouvé quelques-unes, mais j’ai pas retrouvé les 14, alors je sais pas, je sais pas. Je sais que moi, j’étais la septième, et puis par les camarades que j’ai retrouvées, je sais qu’il y en a une dizaine en tout cas qui ont sauté, mais je n’ai pas pu retrouver tout le monde… |
31 : 51 | … et qui ont quand même pu se sauver quelque part, ces dix… |
32 : 00 | Il y a des chances, il y a toutes les chances pour qu’elles se soient… qu’elles aient réussi. |
32 : 06 | Et les femmes qui étaient… en fait qui étaient proches de la fenêtre d’où vous êtes [sic] sautée, elles ont réagi ou…. |
32 : 17 | Ah ben non, elles étaient pas près de la fenêtre, les autres. On avait… on avait… comment dire, c’étaient les 14 francophones qui… qui étaient tout près de la fenêtre, les autres étaient repoussées plus loin. |
32 : 30 | D’accord. |
32 : 32 | Et les autres c’étaient des… des… d’origine polonaise, d’origine diverse, mais qui parlaient pas le français et avec lesquelles on n’avait aucun contact, aucun… aucune possibilité d’échange. |
32 : 50 | […] Quel était le premier moment où vous vous êtes sentie vraiment libre ? |
| Ça n’a pas été tout de suite. D’abord le train XXX pas mal. Je savais qu’il fallait regarder dans l’autre sens de la… de la manière dont le train roulait, qu’il fallait donner un bon coup de pieds pour se détacher de… des wagons, mais je savais pas ce qui… où je tomberais, je tomberais… Je suis tombée sur un… sur de la grave sur… enfin je sais pas comment appeler ça… sur du ballast quelque chose comme ça… enfin, je suis tombée sur des cailloux et alors la première chose ce que j’ai faite c’est de bien me… m’examiner pour voir si je m’étais rien cassé. Et j’ai eu la bonne surprise de voir que je m’étais rien cassé. |
| Alors, à ce moment-là, à ce moment-là, j’ai eu la peur de ma vie [rire] parce que le train a ralenti, ralenti, ralenti et s’est arrêté. Alors si ça c’est XXX il y a des soldats sur la plateforme qui auraient pu me voir sauter et qui ont fait arrêter le train…hein… c’est foutu quoi. Eh ben non, c’était pas ça, mais enfin mois je suis planquée par terre je me suis aplatie par terre en faisant…. Enfin j’étais pas grosse, mais je me suis fait aussi mince que je pouvais pour être complètement aplatie par terre et j’ai pas bougé le temps que le train n’est pas parti et je voyais la petite lumière rouge du train de… et je partais pas, et puis finalement il est parti. Et… en fait euh… la lumière rouge, je l’ai vue après… une fois que le train était parti, alors j’ai vu la lumière rouge qui était derrière notre wagon puisque c’était le dernier. J’ai vu la lumière rouge partir au loin et c’est seulement quand je ne l’ai plus aperçue que j’ai osé me mettre debout [rire] en espérant que j’étais vraiment libre, alors ça c’était effectivement merveilleux de se sentir libre même si j’avais aucune idée, il faisait nuit, je savais pas où j’étais, je savais pas quoi faire, mais c’était merveilleux [rire] c’était merveilleux d’être libre. Je me disais, même si on m’le reprend maintenant, si on me tue, bon ben j’aurais vécu un moment de liberté que je me serais attribué à moi-même [rire] et ça c’était formidable. Et j’étais très contente de moi, d’avoir pu me rendre libre, même si c’était pour très peu de temps. J’étais très contente… et le reste, vous le connaissez… |
| Eh oui. Mais en fait, c’était… c’était dur de vraiment comprendre que vous étiez libre ou c’était quelque chose… ? |
| C’était quelque chose d’inespéré. C’était la chose qu’on se souhaitait le plus et d’avoir réussi… ça c’était vraiment à la fois beaucoup de chance et… et merveilleux, parce que c’était difficile de penser qu’on allait réussir… Mais le fait d’avoir réussi, d’être libre, quelle que soit la suite, ça valait la peine. |
| Donc, vous vous attendiez déjà… quand même il y avait pas mal d’obstacles à surmonter après… |
| Oh, je m’attendais pas tellement à réussir 100%, hein, je me disais je vais être probablement arrêtée de nouveau, je vais… je pensais pas que je réussirais vraiment… mais, j’ai toujours essayé. |
| Et donc vous êtes rentrée à Zschopau, en fait euh pour gagner Chemnitz qui était la zone libre… |
| Ça c’était dans… mon but, mais… c’était pas si simple d’arriver à Zschopau |
| Je l’ai lu, oui [rire ensemble] mais bon… vous êtes arrivée quand même [Ouais], après pas mal de peur quand même aussi… […] |
38 : 00 | Et donc finalement, vous… vous êtes arrivée, M Marquant vous a aidé et vous êtes arrivée chez Mme Fullmann. C’est ça ? |
38 : 09 | C’est ça, exactement. Et c’est Mme Fullmann qui m’a cachée jusqu’à la libération… que je suis restée. |
38 : 16 | En fait c’est par qui que vous avez appris que en effet la guerre était finie ? |
38 : 26 | Vous savez que chez Mme Fullmann, tous les soirs M Marquant venait après le travail, enfin très tard, tard le soir et… avec elle et avec lui euh… je passais la soirée, on écoutait la BBC, on était parfaitement au courant de l’avance des alliés, on voyait que l’Allemagne était en train de perdre la guerre et on voyait que… à courte échéance on allait être libérés. C’était évident. Alors, on écoutait les nouvelles tous les jours, on n’attendait que ça… et… |
39 : 16 | C’est historique [rire ensemble]. Donc en fait c’est…c’est en écoutant la radio que [oui] vous avez appris le soir… |
39 : 25 | En écoutant la radio. |
39 : 27 | D’accord… |
39 : 28 | En écoutant la radio… puis on s’y préparait parce que on sentait que ça allait être imminent et… naturellement ça paraissait long, mais [rire] |
39 : 44 | Oui, c’étaient trois semaines quand même qui… qu’il vous a fallu attendre dans la chambre sans faire de bruit… |
39 : 52 | Dans la journée en tout cas c’était nécessaire il n’y avait que le soir… |
40 : 00 | Est-ce qu’il y avait des gens dans la maison qui soupçonnaient après que vous étiez là ? |
40 : 04 | Ben alors on pouvait encore être dénoncés et arrêtés, hein ? C’était pas… c’était pas exclus. Il y avait déjà les enfants, quatre enfants puis au rez-de-chaussée il y avait une amie… amie… on sait jamais, ce que peuvent faire les amis par des cas… il fallait être très prudents… |
40 : 36 | Et donc à partir du 8 mai vous vous sentiez sûre quand même… |
40 : 42 | Ben on attendait d’un jour à l’autre la libération, mais on pensait un moment que ça… ç’allait arriver. Evidemment le 8 mai, alors on a … on pouvait sortir librement dans les rues sans crainte [rire] d’être arrêtés. C’était le premier jour où on pouvait le faire. C’était très… extraordinaire, mais… enfin vous avez lu tous les détails |
41 : 13 | Oui, ça je l’ai lu, mais en fait j’ai… j’ai une question sur… comment dire… en fait est-ce que vous aviez un rêve comme ça, genre, « si j’arrive à… à survire…si je rentre à la maison… » est-ce que vous aviez un rêve « ça c’est la première chose que je ferai »… eu je sais pas… […] Est-ce que vous aviez quelque chose comme ça ? |
| Tout ce qui m’a soutenue depuis Auschwitz d’ailleurs jusqu’à la libération c’était… [en pleurant] excusez-moi… [longue pause] C’était pouvoir retrouver… je savais que je pouvais retrouver ma sœur, mais c’était de pouvoir raconter à ma sœur tout ce qui concernait ma mère, c’était ça pour moi… [tout en pleurant] je voulais qu’elle sache toute la souffrance qu’avait subi… ma mère ça… je peux pas en parler sans émotion, je m’excuse d’être si émotive… je peux pas parler sans émotion [encore en pleurant, mais en se calmant] C’est d’ailleurs de tout ce que j’ai vécu c’est ça qui m’a le plus… enfin c’est ça qui m’a traumatisée à vie… c’est le sort de ma mère, sa souffrance et il fallait pas… il fallait que ma sœur le sache. Et ça ça m’a fait tenir depuis le début jusqu’à la fin. Je ne pensais qu’à ça. |
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| Donc c’est vraiment…. C’est vraiment la blessure qui est restée et qui vous a marquée à vie en fait. |
| Ben oui, c’est exactement ça. […] |
| Voilà, alors est-ce qu’il y a d’autres questions ? |
| Oui, en fait ce que je me suis demandée en listant votre… votre livre c’est : Est-ce que vous saviez à l’époque où vous étiez à Auschwitz ou à Zschopau après… est-ce que vous saviez ce qu’était devenu votre père – ou c’est après en fait que vous avez appris ? |
| C’est après que j’en ai eu la confirmation, mais je savais… je savais quand j’ai été transférée à Drancy et que… il n’était pas à Drancy… je savais qu’il avait été fusillé, j’en étais tout à fait certaine parce que… il y avait tellement de personnes qui ont été fusillées par cette division Brehmer qui envahissait le Périgord, j’avais entendu tellement de récits de… de gens qui ont été massacrés que je n’avais aucune illusion. Si on le retrouve ce serait une chance, mais [il y avait] peu de chances, mais quand j’ai vu qu’il n’était pas à Drancy, alors là ça a été pour moi une certitude, même si je n’ai eu la confirmation que quad je suis rentrée, mais ça ne m’a rien appris, je le savais. |
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| Mais est-ce que vous avez eu quand même la certitude que votre sœur était vraiment en sécurité ? |
| Oui, comme elle était en Suisse, je savais que je la retrouverais, ça c’était, sûr, oui. Heureusement c’était… c’était une bonne chose savoir ça. |
| De savoir qu’on arriverait quelque part en rentrant quand même… |
| … de savoir qu’on retrouverait quelqu’un en rentrant… c’est pour mes autres… les autres membres de la famille, je savais de tous qui serait encore là… Je l’ai retrouvée ma sœur avec mon beau-frère Henri, avec tous les deux, je la retrouverais. |
| Et donc vous avez retrouvé votre sœur et vous lui avez raconté ce qui s’était passé et après ? |
| On n’en a plus reparlé. [Plus jamais ?] Non. |
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| Mais donc en fait la génération des enfants… pendant très longtemps ils n’ont rien su ou juste soupçonné… je suppose qu’ils savaient que vous étiez à Auschwitz, mais pas plus ou… ? |
| Oh, c’est difficile de savoir ce qu’ils savaient ou ce qu’ils savaient pas… petit à petit les choses ont été divulguées, mais ce qui a vraiment vraiment permis de dire, de transmettre ça a été lorsque j’ai pu parler dans le contexte que vous savez l’université de Yale et lorsque j’ai pu faire cette vidéocassette où j’ai raconté tout XXX eh bien cette cassette, comme je l’ai écrit a servi de vecteur pour toute la famille qui n’osait pas me poser de questions et donc je ne répondais pas puisqu’on… on ne me posait pas de questions… et que j’avais pas si envie d’en parler. Mais là, avec cette cassette j’avais plus envie de parler mais je n’avais plus besoin de parler et c’est en voyant la cassette qu’ils ont pu apprendre tout ce qui s’était passé. |
| Mais en fait si j’ai bien compris, que c’était ça le… le moment déclencheur pour que vous puissiez parler de ce qui s’était passé en fait là. |
| Oui, parce qu’à la suite de ça j’ai pu… cette vidéocassette j’avais pu la faire longuement et donc je savais que je pouvais maintenant commencer à témoigner à droite et à gauche donc j’ai témoigné chaque fois qu’on me l’a demandé. |
| Comme aujourd’hui. [Come aujourd’hui] C’est très gentil de votre part. Je l’apprécie vraiment. |
| J’ai une question sur… […] Quelle est votre motivation pour témoigner ? Qu’est-ce qui vous a dit « c’est nécessaire que je le fasse » ? Est-ce qu’il y a eu un moment comme ça ? Voilà, il faut en parler ? |
| Moi, j’ai toujours pensé qu’il fallait transmettre. Il fallait pouvoir le faire, c’est tout, mais je savais bien qu’il fallait transmettre pour que… il n’y ait pas d’oubli pas de… d’ignorance de ce qui s’était passé… que ça se sache et que ça ne s’oublie pas c’est la seule… c’est la vraie motivation. |